Lorsque nous avons commencé à analyser les applications de rencontres en 2021, nous avons constaté qu’elles ne répondaient pas aux critères de confidentialité et de sécurité que nous nous étions fixés. Aujourd’hui, nos recherches révèlent que la situation s’est encore dégradée en ce qui concerne la protection de la vie privée. Et en 2024, les enjeux sont bien plus importants.

Les applications de rencontre prétendent que plus vous partagez de données personnelles, plus vous avez de chances de trouver l’amour. Nous n’avons aucun moyen de connaître la véracité de ces affirmations. Ce que nous savons, c’est que lorsqu’il s’agit de protéger ces informations, la plupart des applications de rencontres échouent de manière spectaculaire.

Misha Rykov, chercheur pour *Confidentialité non incluse

Tout comme les chatbots d’IA romantiques, la nature des applications de rencontre implique qu’elles doivent probablement collecter des informations sensibles et personnelles vous concernant. Nous avons cependant découvert que les entreprises en profitent souvent pour utiliser vos informations personnelles pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les relations amoureuses. Elles affirment bien souvent être en mesure de les partager, de les vendre, ou ne font tout simplement pas le strict minimum pour assurer la sécurité de ces données. Alors que les intégrations d’IA et les deepfakes générés par l’IA se multiplient et que nos vies privées ont besoin d’être mieux protégées, les applications de rencontres semblent persister dans leurs mauvaises pratiques en matière de protection de la vie privée. Ces applications ont toujours besoin de plus de données !

22 des 25 (88 %) applications de rencontres que nous avons analysées se voient attribuer la mention *Confidentialité non incluse.

Les applications de rencontres peuvent collecter BEAUCOUP d’informations vous concernant

Pour obtenir plus de correspondances, OkCupid a tendance à nous offrir des conseils tels que : « Partagez plus d’informations sur vous », « Répondez à plus de questions », « Mettez votre profil à jour fréquemment ». Et les photos ? « Plus il y en a, meilleures sont vos chances ». La quantité d’informations demandées par la plupart des applications de rencontres est considérable.

On peut vous demander comment vous réagiriez si vous glissiez sur une peau de banane, si vos parents sont divorcés ou si vous avez déjà demandé à parler au directeur en répondant à un questionnaire obligatoire. Tout cela avant même qu’on ne vous invite à compléter votre profil avec des photos, des vidéos, du « contenu vocal » et une myriade d’autres informations personnelles qui peuvent être collectées par l’application. Ces détails peuvent inclure votre religion, vos origines ethniques, vos opinions politiques, votre sexualité, votre statut sérologique, votre poids et même des informations sur vos « expériences sexuelles », en fonction des politiques de confidentialité de l’application. Ce dernier point est une nouveauté, même pour nous ! La plupart des applications de rencontres que nous avons analysées exigent désormais vos données biométriques, si vous souhaitez obtenir un « statut vérifié » pour prouver aux autres utilisateurs que vous existez vraiment.

Dans leur politique de confidentialité, les sociétés indiquent souvent que la divulgation de toutes ces informations est facultative. Cela est parfois vrai ! D’autres fois, cette affirmation est un peu trompeuse, comme lorsque Tinder affirme ne recueillir votre géolocalisation précise « qu’avec votre consentement », alors que l’application ne fonctionne pas sans cette information. Le bon vieux principe du « si ça ne vous plaît pas, vous pouvez partir ». Nous le connaissons bien.

Et cela ne se limite pas à ce que vous « partagez »

Les applications peuvent recueillir d’autres informations sans que vous ne vous doutiez que vous les partagez, telles que le « contenu et les informations que vous mettez à disposition en utilisant [la] fonction de chat vidéo ». Pardon ? Il semblerait que CoffeeMeetsBagel récupère vos conversations vidéo, nous n’en avons cependant pas encore la certitude. Vos messages privés (pour des raisons de sécurité) et toutes vos actions sur l’application sont également collectés. Oui… chaque « swipe » et chaque « match ».

Pour couronner le tout, des données supplémentaires sont collectées sans que vous ne le sachiez, par exemple des informations provenant de tiers, de votre appareil ou de vos photos. Environ 25 % des applications collectent des métadonnées à propos de votre contenu, c’est-à-dire des informations contenues dans les fichiers concernant la date à laquelle une photo (ou une vidéo) a été prise, l’endroit et le jour en question. D’autres applications affirment être en mesure de rechercher des informations dans votre contenu à l’aide de services tiers afin « d’identifier vos centres d’intérêt et vos activités (par exemple si vos photos contiennent des animaux de compagnie, des activités sportives ou des voyages) et de vous proposer de meilleures correspondances ». Cela semble inutile, d’autant plus que les utilisateurs doivent déjà répondre à des questions sur ces sujets. 64 % des politiques de confidentialité des applications mentionnent la création de « déductions » vous concernant, généralement dans le but de vous proposer davantage de publicités ou de services et de vous soutirer encore plus d’argent.

Il arrive trop souvent que les applications de rencontres ne préservent pas la confidentialité de vos informations personnelles

Lorsque les applications de rencontres vous encouragent à partager vos données, elles vous expliquent généralement que c’est pour que leur précieux algorithme puisse trouver des amis ou des partenaires qui vous correspondent davantage. Mais ce n’est pas tout ce qu’elles font de vos données. La plupart des applications de rencontres (80 %) peuvent partager ou vendre vos informations personnelles à des fins publicitaires. Et parfois, même nous n’arrivons pas à clairement dire si vos informations personnelles sont vendues ou non (coucou Bumble). C’est un peu étrange car, à l’exception de Facebook Dating, qui est totalement « gratuit », toutes les autres applications fonctionnent sur la base d’un modèle d’abonnement. Il ne s’agit donc pas de choisir entre votre argent et votre vie privée avec les applications de rencontre car elles veulent souvent les deux à la fois.

Nous ne sommes pas non plus en mesure de confirmer si la moitié (52 %) des applications font le strict minimum pour assurer la sécurité de vos informations personnelles, en se conformant à nos normes de sécurité minimales. Il n’est donc pas surprenant que le même nombre d’applications (52 %) ait été « signalées » pour des failles, des fuites ou des piratages de données au cours des trois dernières années. Certaines de ces failles ont eu des conséquences… très graves. Par exemple, les données de localisation de l’application de rencontres gay Grindr se sont retrouvées entre les mains de courtiers en données et ont été achetées par un groupe catholique aux États-Unis pour surveiller les membres de sa paroisse. C’est du joli…

Avec la course à l’intégration de l’IA par les applications de rencontres, les choses pourraient empirer

La moitié des applications de rencontres que nous avons analysées utilisent déjà l’intelligence artificielle, pour des raisons qui vont de potentiellement bonnes (comme le détecteur de tromperie de Bumble), en passant par un peu ridicules (comme le sélecteur de photos de profil de Tinder), jusqu’à potentiellement néfastes (comme les algorithmes de correspondance possiblement discriminatoires de beaucoup d’applications). Mais il semble que l’intégration de l’IA dans les applications de rencontres n’en soit qu’à ses balbutiements. Cela nous inquiète, car l’IA générative est un véritable terrain miné en matière de protection de la vie privée, et nous ne sommes pas convaincus de la capacité des applications de rencontres, déjà peu soucieuses de la protection de la vie privée, à y faire face.

L’année dernière, Match Group, la plus grande société spécialisée dans les applications de rencontres au monde, a déclaré dans un courrier adressé aux actionnaires qu’elle prévoyait de « tirer profit des progrès de l’IA » et a engagé une nouvelle équipe dédiée à des projets axés sur cette technologie. En février, le groupe a établi un partenariat avec ChatGPT, promettant de « garder les données sûres et sécurisées », « avec tous les dispositifs de protection de la vie privée disponibles ». Match Group est toutefois plus réputé pour ses manquements à la protection de la vie privée que pour ses solutions miracles. Et sa relation avec l’IA a déjà soulevé quelques inquiétudes. Par exemple, en 2022, la Commission fédérale du commerce des États-Unis (FTC) a dû déposer une requête pour en savoir plus sur un accord de partage de données qui aurait permis d’exploiter des images provenant d’OkCupid, propriété de Match-Group, pour entraîner un logiciel de reconnaissance faciale à l’insu des utilisateurs et sans leur consentement. On aura tout vu…

Grindr, l’une des applications de rencontre les plus populaires destinées aux hommes souhaitant rencontrer d’autres hommes, a également annoncé son intention de mettre en place des « fonctionnalités innovantes basées sur l’intelligence artificielle », tout en affirmant que son « engagement à protéger la vie privée » resterait inchangé. Hmm. La promesse de ne pas changer n’est pas très rassurante de la part d’une application dont les antécédents en matière de protection de la vie privée sont particulièrement mauvais. Une enquête récente indique que Grindr envisage peut-être d’utiliser les conversations dans l’application pour développer certaines fonctionnalités d’intelligence artificielle, comme un petit ami chatbot payant, un projet qui pose encore plus de problèmes en matière de protection de la vie privée.

Avec l’IA, nous sommes confrontés à un tout autre éventail de problèmes potentiels en matière de protection de la vie privée. Il se peut même que nous devions ajouter d’autres points à notre liste de problèmes de confidentialité à signaler pour les aborder tous, nous vous en dirons plus à ce sujet prochainement. En attendant…

Plus d’informations concernant les applications de rencontres :

  • Une certaine application ne dispose d’AUCUNE politique de confidentialité

Nous n’avons pas trouvé de politique de confidentialité en anglais pour l’application Lovoo, bien qu’elle soit disponible au téléchargement dans les pays anglophones tels que les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni. Si vous parlez allemand, vous trouverez une politique de confidentialité que vous pourrez comprendre. Mais si vous ne parlez que l’anglais, il n’y a pas de politique de confidentialité pour vous !

  • Près de la moitié des applications sont détenues par deux entreprises seulement

Match Group possède Tinder, OkCupid, Match, Hinge, Plenty of Fish, BlackPeopleMeet, OurTime et des dizaines d’autres applications de rencontres. Spark Network possède Christian Mingle, Jdate, Elite Singles et Zoosk pour ne citer que quelques exemples. Bumble et Badoo appartiennent également à la même société. Cela signifie que vos données personnelles peuvent être partagées à partir de n’importe quelle application appartenant à la même société. Cela représente énormément de partage potentiel, ce qui est plutôt inquiétant.

  • Le verdict est tombé : l’amour est un jeu perdu d’avance

Le jour de la Saint-Valentin (comme c’est romantique !), Match Group a été poursuivi en justice pour avoir « confiné les utilisateurs dans une boucle de paiement qui donne la priorité aux profits de l’entreprise plutôt qu’à ses promesses marketing et aux objectifs relationnels de ses clients ». Une affaire à suivre… eHarmony (une société plutôt respectueuse de la vie privée) a également été accusé de « pratiques commerciales manipulatrices » qui ont fait tomber les utilisateurs dans le « piège de l’abonnement ».

  • L’IA n’est pas si brillante lorsqu’il s’agit de rapprocher les humains

Tinder, OkCupid, Facebook Dating, Happn, CoffeeMeetsBagel et Tantan utilisent tous l’IA dans leurs algorithmes de correspondance. En l’absence d’informations sur le fonctionnement de ces algorithmes, nous craignons qu’ils ne reproduisent les préjugés du monde réel en matière de rencontres, tels que le racisme sexuel et la grossophobie, en supprimant les préférences réelles des utilisateurs là où elles sont vraiment importantes. Nous représentons tous bien plus que la somme de nos « swipes » !

  • Les arnaqueurs et les escroqueries sentimentales se multiplient

Les escrocs utilisent de faux profils sur les applications de rencontres pour cibler les utilisateurs peu méfiants, en prétendant s’intéresser à votre âme alors que ce qu’ils veulent vraiment, c’est votre argent. Il s’agit d’un énorme problème dans le monde entier, la Federal Trade Commission des États-Unis a rapporté que des millions de dollars ont été perdus par des utilisateurs en raison de ce type d’escroquerie en 2023. Bien qu’aucune application ne soit à l’abri, des escroqueries sur Tinder, Tantan, Zoosk, Facebook Dating et Lovoo ont récemment fait la une des journaux.

  • Les pseudonymes sont de retour !

Muzz et Her précisent dans leur politique de confidentialité que les utilisateurs peuvent utiliser des surnoms ou des pseudonymes dans leurs applications. Génial !

Comment réagir ?

Si vous vous considérez comme une personne LGBTQ+ et que vous recherchez une communauté, vous êtes en veine ! L’application Lex, détenue et exploitée par des personnes homosexuelles, est la seule application de rencontre que nous ayons évaluée et qui mérite notre approbation. eHarmony et Happn sont également acceptables ! Elles ne sont pas des plus performantes, mais elles n’ont pas mérité la mention *Confidentialité non incluse, car elles semblent respecter et protéger vos informations personnelles un peu mieux que les autres.

Si aucune de ces applications ne vous convient, nous vous recommandons de lire les évaluations. Toutes les applications ont leurs spécificités. Cela vaut la peine de voir par vous-même si le risque pour votre vie privée en vaut la peine. Les choses que nous faisons par amour, n’est-ce pas (mais attention, il semblerait hélas que les applications de rencontre ne tiennent pas toujours leurs promesses) ?

Pour toutes les applications de rencontres, voici nos trois meilleurs conseils en matière de confidentialité :

  1. Considérez votre profil sur les applications de rencontre comme votre profil LinkedIn : partez du principe qu’il peut être vu par n’importe qui et ne publiez que des photos et des informations que vous êtes disposé à rendre publiques.
  2. Ne vous connectez pas avec des comptes de tiers et ne reliez pas vos comptes de réseaux sociaux à votre profil. Vous risquez ainsi de partager encore plus d’informations personnelles avec un plus grand nombre de sites qui ne font pas toujours un bon usage de ces informations.
  3. Dans la mesure du possible, limitez les autorisations des applications dans les paramètres de votre appareil (comme l’accès à la localisation, au répertoire et aux photos). Moins vous en partagez, mieux c’est !

Vous trouverez également des conseils plus détaillés sur la protection de la vie privée dans chacune des évaluations. Ne serait-ce pas formidable si toutes les applications, où qu’elles soient, respectaient par défaut des normes plus strictes en matière de protection de la vie privée ? Cela rendrait notre travail moins pénible et notre vie plus facile. Si vous êtes d’accord, rejoignez-nous !

Jen Caltrider

Jen Caltrider

Lors d’une période de relative improvisation pendant laquelle elle travaillait sur son diplôme de Master en Intelligence Artificielle, Jen a découvert qu’elle était davantage douée pour raconter des histoires que pour écrire du code. Cette prise de conscience a par la suite donné lieu à une carrière intéressante en tant que journaliste spécialisée dans les questions technologiques chez CNN. Mais sa véritable passion dans la vie a toujours été de laisser le monde un peu meilleur qu’elle ne l’avait trouvé. C’est pourquoi elle a créé et dirige encore aujourd’hui l’initiative *Confidentialité non incluse de Mozilla, pour défendre le droit à la vie privée du plus grand nombre.

Misha Rykov

Misha Rykov

Originaire de Kiev et aujourd’hui basé à Berlin, Misha a travaillé dans de grandes entreprises technologiques et de conseil en sécurité avant de rejoindre les équipes en charge des questions de confidentialité chez Mozilla. Il adore les enquêtes journalistiques et déteste par-dessus tout les politiques de confidentialité confuses. Misha prône un cadre réglementaire plus fort et plus intelligent en matière de confidentialité, ainsi qu’un Internet plus sûr.

Zoë MacDonald

Zoë MacDonald

Zoë est rédactrice et stratège spécialisée dans le numérique à Toronto, au Canada. Avant que sa passion pour les droits numériques ne la conduise chez Mozilla et plus particulièrement dans l’équipe de *Confidentialité non incluse, Zoë écrivait sur la cybersécurité et le commerce électronique. Lorsqu’elle n’est pas occupée à enquêter sur des sujets de confidentialité dans le cadre de son travail, elle surveille étroitement les appareils intelligents chez elle.

*Confidentialité non incluse