Deux T-shirts coûtent deux fois plus cher qu’un seul. Cela apparaît clairement lorsque l’on voit notre argent disparaître de notre porte-monnaie. Parcourir deux fois la même distance coûte deux fois plus cher en carburant. Il suffit de regarder l’indicateur du réservoir d’essence pour s’en rendre compte.

Si toutes nos activités en ligne ont un impact sur l’environnement, quel est celui d’une recherche Google ? Et quel est l’impact de cette même recherche sur ChatGPT ?

Lorsque nous parcourons le web (en regardant des vidéos, en effectuant des recherches, en téléchargeant des fichiers, etc.), notre passage laisse derrière lui une empreinte. Pourtant, la taille de cette empreinte, ou le fait même qu’elle existe, nous paraît abstrait et dissimulé. Notre empreinte carbone en ligne est déterminée, en grande partie, par les décisions prises par les entreprises lorsqu’elles créent leurs outils, des outils qui nécessitent de vastes superficies de terrain et de grandes quantités d’eau et d’énergie quelque part loin de chez nous. Cette empreinte est également déterminée par les décisions prises par les consommateurs, en choisissant les outils que nous utilisons et à quelle fréquence.

Dans un monde idéal, tous nos sites et applications préférés ne produiraient pas d’émissions, chaque téléchargement d’application produirait des arcs-en-ciel au-dessus de nos téléphones et les ours polaires nous feraient des clins d’œil depuis le pôle nord. Dans la réalité, c’est tout le contraire. Non seulement ce confort moderne est coûteux pour l’environnement, mais il est difficile de savoir à quel point. Il n’y a pas de porte-monnaie pour vous rappeler combien vous dépensez (ou de compte courant, pour ceux qui sont passés aux paiements électroniques). Il n’y a pas de jauge de carburant pour indiquer que vous avez consommé deux fois la quantité habituelle (1,5 fois pour les conducteurs de véhicules hybrides). Le coût en ressources de l’utilisation quotidienne de l’internet n’est pas clair, et l’IA rend les choses encore plus compliquées.

Les équipes de Code Carbon font partie des lauréats du Mozilla Technology Fund qui ambitionnent de nous rapprocher de ce monde idéal (la partie « zéro émission », pas l’ours polaire). Code Carbon est un ensemble de codes qui permet aux développeurs d’évaluer les émissions de carbone de leurs outils, puis de proposer des moyens de les réduire. De nouvelles normes apparaissent dans le domaine de l’IA et Sasha Luccioni, fondatrice de Code Carbon, les trouve insatisfaisantes. « Les entreprises spécialisées dans l’IA ne communiquent pas la quantité d’énergie que coûte une requête », explique Sasha. Les entreprises comme OpenAI gardent les informations sur leur consommation d’énergie pour elles, et selon Sasha, elles sont encouragées à ne pas les divulguer. Heureusement, des modèles open source comme Hugging Face nous permettent de faire des estimations. « Lorsque nous examinons les modèles d’IA open source, nous constatons que les petits modèles formés pour une tâche spécifique utilisent moins d’énergie que beaucoup de ces énormes modèles de langage qui peuvent techniquement effectuer un grand nombre de tâches, mais qui utilisent beaucoup plus de ressources pour chaque requête ». Sasha fait remarquer que poser une question simple à un grand modèle d’IA peut entraîner une consommation d’énergie 30 à 40 fois supérieure pour une seule requête, par rapport à des modèles efficaces pour des tâches spécifiques.

Cependant, l’utilisation d’un outil d’IA ne représente que la partie visible de l’iceberg, l’autre partie étant la grande quantité d’énergie que les modèles d’IA nécessitent dans le cadre de leur formation. « Facebook va acheter plus de 300 000 processeurs graphiques cette année, ce qui nécessitera la même quantité d’énergie que celle utilisée par des milliers de foyers en France », explique Benoît Courty, président de Code Carbon. « Le simple fait d’entraîner une IA nécessite la même quantité d’énergie celle utilisée pour alimenter une ville ». Les cartes graphiques H100 de Nvidia consomment jusqu’à 700 W en pointe, soit l’équivalent de la consommation d’un foyer américain moyen de deux personnes. Facebook (désormais connu sous le nom de Meta) utilisera 350 000 de ces cartes graphiques et une quantité d’énergie équivalente à celle d’une ville, uniquement pour le développement de l’intelligence artificielle. Et cela n’inclut même pas les ressources nécessaires à l’utilisation de ses outils d’intelligence artificielle.

Comment résoudre le problème de l’empreinte carbone de l’IA ?

Les changements peuvent intervenir à trois niveaux. Au niveau de l’entreprise, au niveau politique et au niveau individuel. Il est clair que les entreprises doivent, premièrement, être transparentes sur l’empreinte carbone de leurs produits et, deuxièmement, s’efforcer activement de la réduire. Par exemple, en orientant les utilisateurs vers des modèles d’IA plus simples pour des requêtes basiques.

Il est malheureusement peu probable qu’un changement significatif se produise au niveau de l’entreprise sans l’intervention des pouvoirs publics. Alors où en sont les pouvoirs politiques ? La législation relative à l’IA et à la consommation d’énergie n’est pas très étendue, mais nous assistons tout de même à un début de prise de conscience. Un projet de loi déposé au Congrès propose que l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) et l’Institut national des normes et de la technologie (NIST) incitent les entreprises spécialisées dans l’IA à rendre compte de la consommation d’énergie de leurs outils. Ce projet de loi constituerait un premier pas dans la bonne direction s’il était adopté, mais il y a encore des progrès à faire. « La prochaine étape devrait être la divulgation obligatoire », déclare Sasha à propos du projet de loi de l’EPA et du NIST. « Même s’il n’est pas possible de donner un chiffre exact, il faudrait tout de même présenter une moyenne. Une fois que les entreprises seront tenues de communiquer ces chiffres, il sera possible de commencer à fixer des règles concernant la quantité d’énergie maximale que les modèles d’intelligence artificielle des entreprises sont autorisés à utiliser ».

Allons-y doucement avec la génération de chats par intelligence artificielle !

Enfin, il y a le niveau individuel. Même si les consommateurs n’ont pas beaucoup de contrôle sur l’empreinte carbone des outils qu’ils utilisent, ils ont la possibilité de choisir des outils adaptés à leurs besoins et respectueux de l’environnement.

Une application comme ChatGPT est un modèle énorme et nécessite (probablement) beaucoup d’énergie à chaque utilisation. Quand bien même certains outils semblent être la solution adaptée à tous les problèmes, il faut garder à l’esprit qu’il existe une multitude d’outils de différentes tailles dans la boîte à outils d’internet, et que certains sont plus respectueux de la planète que d’autres. « Le plus grand n’est pas toujours le meilleur », déclare Sasha. « Parfois, les vieux pots font les meilleures soupes. Si vous voulez faire des calculs, vous pouvez utiliser des calculatrices. Pour obtenir des informations, il suffit d’effectuer une simple recherche sur le web ou dans des encyclopédies ». L’utilisation d’outils numériques dépourvus d’IA peut s’avérer tout aussi efficace, tout en produisant une empreinte moindre.

Cela ne veut pas dire que nous devons renoncer à l’utilisation de l’IA. Benoît, par exemple, recommande d’utiliser la version texte de ChatGPT 3.5 plutôt que ChatGPT 4 si vous savez que vous n’effectuerez pas de traitement d’images. Toutefois, si vous utilisez la puissance de traitement supplémentaire, Benoît estime que cela en vaut la peine. « Si vous utilisez l’IA pour trouver des solutions au réchauffement climatique, cela peut être une bonne utilisation », explique Benoît. « Si c’est pour générer des dessins de chats, il y en a déjà assez sur internet ».

L’IA prend de l’ampleur. Son impact sur le climat augmente-t-il ?

Rédigé par : Xavier Harding

Relu par : Audrey Hingle, Kevin Zawacki, Tracy Kariuki, Xavier Harding

Illustration : Shannon Zepeda


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